RéAppropriation autochtone

Le projet de réAppropriation permet aux femmes, aux filles et aux personnes 2ELGBTQQIA de tisser des liens entre elles, de renouveler leur rapport au territoire et de renouer avec les enseignements sacrés. La devise de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées – trouver la vérité, honorer la vérité et donner vie à la vérité – est au cœur de ce projet à portée nationale dont l’objectif est de réaffirmer la présence et le pouvoir des Autochtones sur le territoire comme outils de réappropriation du féminin sacré, de promotion de la sécurité et du mieux-être et de transformation du discours sur les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA autochtones. Ce projet donne l’occasion aux familles, aux femmes et aux jeunes de se rassembler et de renouer avec le savoir matrilinéaire et de s’imprégner des enseignements sacrés sur différents sites autochtones de l’île de la Tortue. Mis sur pied par l’artiste métisse de renom Jaime Black, ce programme sera disponible dans plusieurs sites à travers le pays qui ont été désignés « sites sacrés » en raison du savoir et des enseignements traditionnels qu’on y retrouve. Les sites sacrés ont été la cible d’actes de vandalisme et de désacralisation au cours des dernières années. En plus de favoriser le partage et l’apprentissage, ces ateliers permettront donc de réaffirmer de manière tangible la présence des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQQIA autochtones sur le territoire. Nous espérons que ce programme favorisera l’émergence d’autres initiatives semblables qui se poursuivront après la fin des travaux de l’Enquête nationale et qu’ils offriront une nouvelle façon d’interpeller les êtres chers qui nous ont quittés et de reconnaître leur importance et la contribution de leur caractère sacré dans la vie de nos communautés et dans nos cérémonies traditionnelles.

Jaime Black

Jaime Black est une artiste multidisciplinaire d’origines Anishinaabe et européenne et est la créatrice du REDress Project. Sa pratique artistique porte sur les thèmes de la mémoire, de l’identité, des lieux et de la résistance. Sa démarche est ancrée dans la conception du corps et du territoire comme sources de savoir culturel et spirituel.

Le projet de réAppropriation à la Fourche

 

Pendant des siècles, nous nous sommes rassemblées là où les rivières se rencontrent. Ce territoire se souvient de nous, de nos tambours, du battement de nos cœurs, des femmes qui s’y sont réunies avec leurs familles pour récolter de l’argile sur la berge et en faire des récipients. Assis ici, nous écoutons les récits des Aînés en sculptant des figurines dans l’argile. Nous pouvons alors voir les femmes qui se sont rassemblées sur ce territoire il y a des milliers d’années. Elles se manifestent en nous-mêmes.

 

Au cours du premier rassemblement du projet de réAppropriation à la Fourche, nous avons renoué avec nous-mêmes et tissé des liens entre nous à l’aide d’histoires et de créations artistiques. Le passé s’est confondu avec le présent et nous avons pu imaginer, bâtir et façonner un nouvel avenir.

Les personnes présentes se sont réunies autour du feu pour écouter l’Aînée Clarence Nepinak, dont l’histoire familiale est étroitement liée au site, raconter les histoires sur la Fourche qui lui ont été transmises oralement. L’Aînée Nepinak a évoqué les déplacements des membres de sa famille, leurs rêves et l’esprit des ancêtres qui habitent toujours le territoire où les deux rivières se rencontrent.

Dans le courant de l’après-midi, nous nous sommes rassemblées dans le tipi afin de reconnaître les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Les mains remplies de tabac, une personne nous a menées, au son du tambour, vers un lieu commémoratif pour les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées où nous y avons joint nos prières.

Nous avons formé un cercle à nouveau afin de nous rappeler que nous étions rassemblées ici pour nous souvenir non seulement de notre douleur, mais également de notre pouvoir, de notre capacité d’agir en tant que femmes ou de notre lien étroit avec ce territoire.

À l’aide de nos mains, nous avons pétri de l’argile rouge et de la terre pour que notre lien avec le territoire soit concret et qu’il donne lieu à un processus de guérison mutuelle plutôt que de rester dans notre esprit. Nous avons façonné des personnages de femmes et de filles ainsi que des déesses qui font appel à la force, au courage et au pouvoir de toutes les femmes formant des cercles en ce lieu.

Mon jeune fils, Josef, y était. Il avait à cœur l’entretien du feu et était impressionné par ce rassemblement spécial et important organisé par sa maman. Je peux vous dire qu’il ressent la lourdeur de notre histoire. Je peux vous assurer qu’il en a été transformé.

Plus tard, nous avons offert nos personnages d’argile en les laissant sur le lieu de commémoration pour les FFADA. Nous sommes descendues à la rivière en chantant, puis avons déposé nos offrandes dans la rivière pour qu’elle les recouvre de sa douce puissance et de son mystère.

Mon fils a attaché un morceau de tissu rouge à un bâton et, en silence, toutes les autres personnes ont imité son geste. À ce moment précis, nous sommes devenues des guerrières, des femmes marchant côte à côte avec nos bâtons entourés d’un tissu rouge. Une personne a suggéré que nous traversions le pont pour nous rendre à Spirit Island, un endroit qui accueille des cérémonies depuis des siècles. Nous y avons planté nos bâtons dans le sol en promettant de poursuivre la lutte pour obtenir justice au nom des femmes et des filles.

Un bateau d’excursion est passé devant nous pendant que je plaçais nos bâtons sur le bord de la rivière. Les bandes de tissu rouge contrastaient avec le gris du ciel ce jour-là. Les personnes à bord nous ont regardées et je crois que pendant un instant, elles nous ont réellement vues. Elles nous ont vues réunies.


un rassemblement
un retour
ici
à notre passé
ils ont déplacé le crâne du buffle
mais nous nous souvenons
du chemin du retour
des empreintes dans l’argile
qui moulent et façonnent
une prière
une chanson
un personnage sacré
le pouvoir de la création

nous invoquons nos ancêtres
nous trébuchons et nous triomphons
ensemble ensemble ensemble

 

Un poème de Jaime Black