Rencontre entre les commissaires et des groupes autochtones à Ottawa, en Ontario

MMIWG

 

Titre de l’événement/activité : Rencontre entre les commissaires et des groupes autochtones locaux

Lieu de l’événement/activité : Salle Colombie-Britannique – Édifice John G. Diefenbaker, 111, promenade Sussex, Ottawa

Date de l’événement/activité : Jeudi 26 janvier 2017

 

OBJET DE L’ÉVÉNEMENT/ACTIVITÉ

Présenter le concept des audiences que nous tiendrons pour les familles et les personnes ayant perdu un être cher et obtenir des conseils de nos invités.

 

PARTICIPANTS

 

FFADA

Commissaire en chef Marion Buller, Enquête nationale

Commissaire Qajaq Robinson, Enquête nationale

Commissaire Michèle Audette, Enquête nationale

Commissaire Brian Eyolfson, Enquête nationale

Michèle Moreau, directrice générale, Enquête nationale

Susan Vella, avocate principale de la Commission, Enquête nationale

Michael Hutchinson, directeur des communications, Enquête nationale

Gladys Wraight, adjointe administrative, Enquête nationale

 

Invités

Paani Zizman, Tungasuvvingat Inuit, adjointe administrative de Jason Leblanc

Barbara Sevigny, Tungasuvvingat Inuit – cogestionnaire et conseillère, Centre de guérison Mamisarvik (Ottawa)

Tim Zehyr, Tungasuvvingat Inuit – Centre de guérison Mamisarvik

Ulrike Komaksiutiksak, Centre des enfants inuits d’Ottawa, directeur des programmes

Rebecca Jones, Centre des enfants inuits d’Ottawa – coordonnatrice, services aux femmes : programme de prévention de la violence

Karen Green, présidente, Makonsag Aboriginal Head Start

 

POINTS À L’ORDRE DU JOUR

  • Mise à jour sur le travail lié à l’Enquête nationale
  • Comment pouvons-nous intégrer vos protocoles dans les audiences?
  • Dans quelles langues de votre région l’Enquête nationale devrait-elle être menée?
  • Comment pouvons-nous veiller à ce que le processus tienne compte des traumatismes vécus?
  • Quels lieux devrions-nous considérer pour les audiences?
  • Comment pouvez-vous contribuer à l’Enquête nationale?
  • Quels sont les enjeux régionaux?

 

Questions diverses

 

ANNEXE

Annexe A : Ordre du jour

Compte rendu préparé par : Gladys Wraight et Bryan Zandberg

Titres : Gladys Wraight, adjointe administrative de la commissaire Robinson

Bryan Zandberg, adjoint administratif de la commissaire en chef Buller
Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées

 

Le 26 janvier 2017

Rencontre de consultation régionale

(Ottawa, Ontario)

 

*** Début de la rencontre à 8 h 30 *

 

Commissaire en chef Marion Buller : J’aimerais tout d’abord souligner la beauté du territoire du peuple Anishinaabe.

Michèle Moreau : Nous souhaitons obtenir des conseils et une orientation par rapport aux audiences que nous tiendrons avec les familles à partir du mois d’avril.

** Présentations **

Commissaire Robinson : Nous n’avons pas toutes les réponses; nous sommes ici pour apprendre de personnes ayant une expérience directe.

Commissaire Audette : Depuis 10, 30, voire 40 ans, des familles demandent qu’une enquête soit menée afin de révéler la vérité. Nous voulons rendre hommage à ces familles et à tous les Canadiens qui réclament une enquête. Une annonce officielle a enfin été faite le 3 août dernier. Nous, les commissaires, avons appris dans les journaux que nous serions cinq à jouer ce rôle. Nous avons dû nous googler les uns les autres parce que la plupart d’entre nous ne connaissaient pas les autres avant l’annonce.

Nous pensions pouvoir nous mettre au travail immédiatement. Personnellement, je pensais qu’il y aurait une structure préexistante, une organisation munie de politiques claires et un système de gestion de l’information déjà en place. Étant donné qu’il ne s’agissait pas de la première enquête menée au Canada, j’imaginais que nous recevrions la clé de nos bureaux et que vous pourrions commencer à travailler tout de suite. Le lancement de cette enquête a été un choc culturel pour moi. Je ne peux pas parler au nom de mes collègues. Je suis heureuse qu’ils aient tous de l’expérience en droit et en organisation.

En septembre, nous avons réalisé à quel point notre tâche serait colossale. Nous devions apprendre à nous connaître. Nous devions aussi présenter un budget au Bureau du Conseil privé. Nous avons commencé à faire appel à des Canadiens ayant des connaissances et de l’expérience en matière d’enquête. Parallèlement, nous avons reçu de nombreux appels de familles, d’experts et de survivantes.

En octobre, nous avons établi un plan stratégique pour l’exécution de notre mandat. Une enquête débute lorsque le public est outré et horrifié par une situation inacceptable et demande que l’on fasse la lumière sur celle-ci. Nous devons respecter la demande des familles et des Canadiens, c’est‑à‑dire révéler la vérité. Pour ce faire, la recherche sera importante, tout comme l’écoute et le dialogue.

Depuis le mois d’août, nous peaufinons notre plan stratégique pour nous assurer que nous n’aggraverons pas le traumatisme vécu par les personnes concernées. Comment devons‑nous nous y prendre pour joindre ces personnes afin de déterminer la voie à suivre alors que bon nombre d’entre elles vivent dans des communautés éloignées?

Nous avons établi un plan de communication pour nous assurer que les gens comprennent le déroulement du processus. Nous avons bâti notre équipe, ce qui prend du temps. Il est un peu plus long d’accomplir des choses dans le secteur public que dans le secteur privé, où tout va vite. J’ai parfois eu de la difficulté à l’accepter, mais je me dis que je dois être patiente et tolérante afin que tout fonctionne bien.

En novembre, nous avons continué à nous rencontrer en personne et par Skype pour planifier notre travail, notre budget et notre échéancier. Nous avons aussi continué à embaucher les personnes dont nous avions besoin. Nous nous sommes posé beaucoup de questions, notamment par rapport à la façon dont nous allions nous adresser aux institutions.

En décembre, nous nous sommes dit que nous travaillions depuis quelque temps, que nous avions des ressources, que nos équipes grandissaient et que nous étions prêts à rencontrer des chefs et des groupes autochtones. En janvier, nous sommes allés à Wendake, au Québec, pour rencontrer des dirigeants territoriaux, des fournisseurs de services de première ligne aux communautés autochtones et des représentants de centres d’amitié de la province.

Les commissaires sont jumelés à des grands‑mères, des Aînées, qui participent aux rencontres et qui ont le droit de prendre la parole et de donner des conseils. Elles ont le temps de nous rappeler ce que nous devons faire. Ces femmes sont très actives et occupées. Nous croyons que cette enquête n’est pas comme les autres, et nous voulons nous assurer que, lorsque nous irons dans les communautés autochtones et les différents territoires, nous aurons une attitude empreinte de respect et rendrons hommage à l’identité des résidents et à leurs modes de vie. Nos grands‑mères nous rappellent constamment que nous ne devons pas nous imposer dans les communautés, et nous gardons ce conseil à l’esprit. Nous devons faire les choses correctement pour nous assurer que nous atteindrons les mêmes objectifs. C’est un travail très gratifiant.

Commissaire Eyolfson : Nous sommes ici pour nous préparer à entendre les témoignages de familles ayant perdu un être cher et de victimes de violence. Nous voulons écouter les histoires que les gens veulent nous conter. Nous planifions organiser des audiences publiques et écouter les histoires que les gens voudront nous conter dans le cadre d’une discussion ouverte. Nous planifions aussi avoir recours à des employés qui consigneront les témoignages des personnes qui ne voudront pas conter leur histoire dans le cadre d’une audience publique. Ces employés auront reçu une formation appropriée et seront sensibilisés aux traumatismes vécus. Les gens auront aussi d’autres moyens de conter leur histoire : par vidéoconférence, par exemple.

Nous recueillerons aussi de l’information auprès des gouvernements et des institutions au cours d’une phase ultérieure qui chevauchera celle des audiences tenues avec les familles ayant perdu un être cher et les victimes de violence.

C’est la raison pour laquelle nous vous avons invités à la rencontre d’aujourd’hui. Nous voulons savoir ce que vous avez à nous dire par rapport à la façon dont nous devrions tenir les audiences. L’aménagement des lieux où nous tiendrons les audiences sera très différent de celui d’une salle d’audience. Nous ne sommes pas certains de vouloir utiliser le terme « audience », mais nous voulons nous assurer que les rencontres pendant lesquelles nous écouterons les histoires se déroulent correctement du début à la fin. Il faut établir de bons protocoles locaux. Nous ne voulons pas simplement nous présenter sur place. Nous aimerions intégrer vos opinions dans notre processus d’audience. Quelles langues sont importantes? À quoi ressemble un processus tenant compte des traumatismes vécus selon vous? Le Canada est un grand pays et nous sommes soumis à des contraintes liées au temps et aux ressources. Où se trouvent les communautés que nous devons visiter? Quels sont les enjeux propres à votre région ou à votre territoire? Selon notre mandat, nous devons tenir des audiences dans des communautés autochtones.

Commissaire Robinson : Il est important de donner un aperçu de ce qui est prévu dans le cadre de notre mandat. (Elle indique les faits saillants.) Nous avons le pouvoir d’établir des comités consultatifs régionaux et des comités consultatifs sur des enjeux précis, ce que nous faisons. Notre mandat prévoit que nous devons examiner des façons de souligner et de commémorer la vie des êtres chers perdus. Notre mandat est très vaste et nous voulons que vous nous aidiez à déterminer précisément comment l’accomplir. Nous voulons aussi vous donner une idée de notre perspective du pays. Il s’agit d’une enquête nationale et nous avons le pouvoir d’enquêter sur tous les ordres de gouvernement (services de police, protection des enfants, services correctionnels).

Paani Zizman : Par rapport à ce que les communautés autochtones pensent des services de police et à la surveillance, le gouvernement de l’Ontario a entamé un examen dans le but d’accroître la sécurité dans les communautés et il consultera des communautés autochtones dans le cadre de ce processus. Comment ce processus vous apporte-t-il ce dont vous avez besoin de la part des services de police fédéral et provinciaux? Obtenez-vous de l’information de la part du gouvernement de l’Ontario?

Commissaire Robinson : Nous savons que bon nombre d’enquêtes ont été menées et que de nombreux rapports ont été établis, et nous sommes au courant de ce processus. Dans le cadre de la planification stratégique que nous assurons avec nos équipes de droit et de recherche, nous devrons notamment répondre à des questions précises que l’on nous a posées. Nous examinerons ce qui a déjà été fait et déterminerons les lacunes. Nous menons une enquête indépendante, ce qui est important parce que les recommandations que nous formulerons devront être impartiales. Nous n’établirons aucun partenariat ni aucune affiliation. Nous tirerons des leçons du processus mené en Ontario, mais nous devons maintenir notre indépendance.

Il y a 13 décrets provinciaux et fédéraux différents, mais nous ne tenons pas compte de ces limites. Aucune frontière ne divisera notre travail ni notre façon de travailler. Des communautés autochtones, comme celles des Inuits, sont divisées par des frontières qui ont été établies sans que les communautés aient leur mot à dire.

Commissaire en chef Buller : Nous ne nous imposerons pas dans les communautés. Nous irons là où nous aurons obtenu la permission d’aller et dans les communautés qui nous auront spécifiquement invités. Les communautés se sont déjà fait imposer assez de choses. Nous avons le pouvoir d’examiner toutes les politiques et pratiques des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, mais aussi des gouvernements autochtones. Ces derniers relèvent donc aussi de notre responsabilité.

Le fait de pénétrer dans les coulisses est un élément considérable de notre recherche. Nous n’avons pas le temps de réinventer la roue. Notre mandat exige que nous examinions tous les rapports existants. Nous ne pouvons pas refaire la recherche déjà effectuée parce que nous n’en avons pas le temps ni l’argent. Nous tentons de revitaliser les lois autochtones. Il s’agira d’un élément important de notre recherche. Enfin, nous avons l’intention de réaliser de nombreuses activités axées sur la constitution d’un héritage, sur le plan de la pratique, en élaborant un tout nouveau modèle d’enquête nationale, en revitalisant les lois autochtones et en rendant hommage aux êtres chers perdus et aux survivantes.

Nous sommes en voie de mener à bien le processus en respectant le délai et le budget prévus. Les familles veulent tourner la page. Nous accordons une très grande importance à notre travail. Nous travaillons le soir et la fin de semaine pour accomplir notre tâche. Personne n’est à la recherche d’une tape dans le dos. Il s’agit de permettre aux gens de tourner la page.

La commissaire Audette m’a rappelé que cette enquête avait débuté dans mon garage. Nous n’avions que le document présentant notre mandat. Nous sommes donc un groupe de garage (rire).

Karen Green : Quelle est votre structure de gouvernance? Nous n’avons pas besoin de nous inquiéter à propos de la partialité. Nous devons éviter de [nous confondre en excuses] à propos d’un enjeu que nous savons tous être de taille. Les gens ont des filtres quand ils effectuent des recherches. J’ai participé à la Commission royale sur les peuples autochtones et j’ai rédigé le chapitre qui portait sur les femmes. Comment l’information sera‑t‑elle transmise aux commissaires? Avez-vous parlé de la façon dont vous alliez parler de l’information et la traiter en tant que commissaires?

Susan Vella : Nous envisageons une structure dans le cadre de laquelle l’information sera transmise de manière fiable aux commissaires en grande partie par des conseillers juridiques. C’est notre prémisse de travail. Nous créons un processus qui tient compte du fait que la découverte de la vérité ne repose pas seulement sur le modèle d’enquête habituel. Nous pouvons recevoir de l’information qui pourrait ne pas être admissible devant un tribunal et nous planifions de le faire. Nous prévoyons que l’information soit présentée aux commissaires lors d’audiences publiques, mais aussi dans le cadre d’un processus tenant compte des traumatismes vécus : séances à huis clos (c’est‑à‑dire en privé); séances publiques frappées d’une ordonnance de non‑publication afin que l’identité des témoins ne soit pas révélée; consignation des témoignages par des employés qualifiés; groupes de témoins experts (représentants de la jeunesse, Aînés, milieu universitaire, criminologues, professionnels) spécialisés dans un domaine précis. Nous envisageons aussi d’offrir aux familles des façons sécuritaires de conter leur histoire. Par exemple, il serait peut-être mieux que les membres d’une famille racontent leur histoire à un commissaire ensemble plutôt que séparément. En ce qui concerne la recherche, nous n’avons pas besoin de réinventer la roue. Nous pouvons faire des extrapolations à partir des données existantes et les présenter aux commissaires de manière à ce qu’ils puissent tirer leurs propres conclusions de fait conjointement avec tous les autres aspects.

Karen Green : Donc toute l’information passera par l’équipe juridique? Je suis moi‑même une avocate. Est-ce que d’autres groupes pourront recevoir de l’aide d’un conseiller juridique?

Susan Vella : Il s’agit de la question du statut de partie intéressée. Nous n’avons pas encore démêlé tout ça. Il y aura des demandes de statut de partie intéressée ainsi que des critères financiers et familiaux. Les gens pourront présenter une demande de statut de partie intéressée et obtenir des services financés d’un conseiller juridique dans ce contexte. Cela dit, cette enquête ne ressemblera pas aux autres. Nous ne voulons pas que le processus soit réduit à un groupe d’avocats procédant à des contre‑interrogatoires et volant la vedette aux gens. Il ne s’agit pas d’une enquête comme les autres. Nous ne voulons rien enlever aux gens. Nous voulons réduire au minimum le recours à des avocats. Évidemment, il en ira autrement si des gens ont besoin d’une protection, mais nous voulons que des protections soient intégrées dans le processus. Nous avons une équipe phénoménale formée principalement de conseillers juridiques autochtones provenant des quatre coins du pays.

Commissaire en chef Buller : L’une des raisons pour lesquelles nous demandons votre avis à propos de nos audiences est que nous voulons établir un modèle ou une pratique où les gens n’auront pas besoin d’un avocat. Nous ne voulons pas que les familles ressentent le besoin de recourir aux services d’un avocat. Je veux qu’elles aient l’impression de venir dans notre salon pour prendre du thé et du gâteau et parler de ce qui leur est arrivé. Et nous écouterons leur histoire. Il n’y aura pas de contre-interrogatoire où l’on dira : « Eh bien, vous mentez à propos de la couleur de son chandail! » Il n’y aura rien de tel. J’espère que vous nous aiderez à élaborer ce modèle. Notre approche sera la suivante : nous voulons que les gens se sentent à l’aise de nous parler directement plutôt que par l’entremise de leur avocat. Nous voulons créer un environnement accueillant.

Karen Green : Il y a une perception selon laquelle il s’agit d’une commission formée principalement d’avocats. Il pourrait vous être utile d’aborder le sujet dans vos communications.

Barbara Sevigny : Il existe peu d’études sur l’état de stress post-traumatique chez les Inuits. Je suis ravie d’apprendre que de la recherche sera effectuée. De nombreuses femmes sont dans un état de stress post-traumatique grave et entretiennent des relations malsaines. Êtes‑vous à la recherche d’outils d’évaluation des traumatismes? Ils sont essentiels pour les cas de dépression, d’état de stress post‑traumatique et de revictimisation. Envisagez‑vous la création de ces outils?

Commissaire en chef Buller : Notre directeur de la santé, qui serait la bonne personne pour répondre à votre question, n’est pas présent aujourd’hui. Des travailleurs de la santé se rendront sur place avant notre arrivée pour s’assurer que les gens obtiennent le soutien dont ils ont besoin. Après notre départ, un soutien sera encore offert afin que les gens reçoivent les types de services nécessaires (occidentaux ou autochtones). Pour ce qui est de l’évaluation, je ne sais pas.

Barbara Sevigny : Il existe des décennies de cas non résolus, ce qui a une incidence énorme sur la santé mentale des gens. Cela ne rentre pas dans les deux pages du questionnaire que nous utilisons comme outil. Il serait intéressant d’avoir un outil nous permettant d’évaluer si les gens souffrent ou non d’un syndrome de choc post-traumatique grave ou modéré. Il existe du personnel compétent qui serait en mesure de rendre l’outil convivial. Il s’agit d’un outil d’évaluation standard de l’Ontario, un outil civil qui donne une bonne indication de l’état des personnes, ce qui nous permet de les orienter vers les ressources pertinentes, s’il y a eu lieu. Si vous allez dans des collectivités, vous ne voulez pas faire de tort. Une personne peut commencer à se sentir mal plusieurs mois après avoir fait part de son témoignage. C’est une boîte de Pandore et vous ne pouvez la contrôler. Il pourrait s’agir d’un feuillet d’information sur la manière de s’enraciner, la manière de s’en sortir, la manière de faire face aux substances intoxicantes plutôt que de se tourner vers elles, sur qui sont les travailleurs de soutien qui peuvent vous aider et comment les rejoindre. Vos travailleurs de soutien sauront-ils comment vous enseigner les techniques d’enracinement, comment s’y préparer? Pour le volet Recherche, vous avez besoin d’un outil reconnu qui s’appuie sur des données pertinentes. L’outil utilisé en Ontario pourrait s’avérer utile.

Commissaire Audette : Je suis d’accord avec ce que vous dites Barbara. Il y a des groupes et des nations dont nous n’entendons jamais parler ou pas assez. Ils passent inaperçus. Vous voyez clairement la situation et nous devons collaborer avec vous.

Susan Vella : J’ai le privilège de représenter depuis 1995 les survivants d’abus perpétrés par le prêtre Ralph Rowe, et de les accompagner tout au long du processus judiciaire. J’ai pu voir les répercussions de ce processus judiciaire sur ces jeunes hommes et également constater les répercussions dévastatrices sur leurs conjoint(e)s et leurs collectivités en raison des démons qui les hantent. Je travaille dans ce secteur depuis 28 ans. Ce que vous dites est très important. Nous devons nous intéresser aux répercussions sur les femmes et les filles autochtones, sur leurs familles, leurs conjoints et leurs collectivités en général. Les gens doivent être préparés adéquatement, et pas seulement d’un point de vue juridique. Dans le cadre de ma pratique privée, je travaille en collaboration avec le conseiller des survivants qui me montre quels sont les facteurs déclencheurs. J’apprends de quelle manière le conseiller aide le survivant à s’enraciner. Alors l’information dont vous disposez est très importante pour l’équipe juridique et l’équipe de recherche. Elle peut faire partie des faits constatés par les commissaires. L’objectif est de réduire la violence à l’égard des femmes et des filles autochtones. Ce point est pertinent par rapport au mandat; il s’agit de l’aide dont nous avons besoin.

Barbara Sevigny : Je souhaite partir d’ici en sachant ce que vous attendez de nous, ce qui vous aidera dans votre parcours lorsque vous travaillez avec les gens. Il s’opère un transfert par ricochet. Il y a beaucoup d’histoires difficiles à entendre et elles peuvent être traumatisantes. Il doit y avoir un processus bien planifié pour ce qui est à venir. Les conseillers locaux seront là après votre départ, et ils auront besoin, avec votre personnel, d’être outillés adéquatement pour préparer la collectivité à recevoir les commissaires et pour gérer l’« après ». Penchons-nous sur les détails pratiques.

Ulrike Komaksiutiksak : Il est bon de savoir ce que l’on attend de nous. Dans les collectivités éloignées, de la première à la dernière étape, le langage et la manière de procéder doivent être clairs et censés pour la collectivité. Vous dites que vous irez seulement dans les collectivités où vous êtes invités. J’ai entendu parler de votre budget; faites attention à ne pas créer trop d’attentes auxquelles vous ne pourrez pas répondre. Nous sommes tous avec vous dans ce processus.

Karen Green : Ayant travaillé auprès des familles, je sais qu’il y a beaucoup de traumatismes qui touchent les familles et les survivants. Vous ferez face à une demande très élevée. Parfois, ce traumatisme a débuté bien avant que la personne ne disparaisse ou ne soit assassinée. Les familles ont de grandes attentes. Elles ne tourneront probablement pas la page, car aucune enquête ne sera relancée dans les cas qui les concernent. La situation sera très complexe. Probablement que les familles auront plus de questions que de réponses à la fin du processus. Alors, il est très important de collaborer avec ces familles, de manière à ce qu’elles puissent raconter leurs histoires comme elles le veulent. Elles doivent nous guider sur la manière de procéder. Nous devons collaborer de près avec celles-ci. Les familles ont beaucoup raconté leurs histoires; si on considère seulement le nombre de personnes qui veulent que ces familles racontent leurs histoires, c’est quasiment une situation d’exploitation. Chaque fois qu’elles voient ou qu’elles entendent parler aux nouvelles de leur être cher, elles sont contentes qu’on s’y intéresse, cependant cela vient les chercher à chaque fois. Nous devons aussi nous souvenir que ce n’est pas toujours sécuritaire pour les femmes de raconter leur histoire dans leur collectivité. Souvent, il n’y a pas de conseiller, ou il n’est pas sécuritaire de collaborer avec la police. Il est très facile de mettre la vie des gens en danger. Il existe des secrets. Il est facile de se rendre là-bas, d’aborder le sujet et de repartir en laissant les gens toujours aussi traumatisés. Il peut y avoir des effets d’entraînement et nous devons encadrer ce processus.

Tim Zehyr : Lorsque vous nous demandez dans quelles collectivités nous devrions nous rendre, je répondrais probablement : « dans chacune d’entre elles ». Les personnes que nous ne serions pas en mesure d’aller voir seraient contrariées et elles nous le reprocheraient. Ainsi, il est difficile de recommander des endroits en particulier. En tant qu’organisation inuite, nous avons nous-mêmes de la difficulté avec les dialectes locaux. Vous devez garder le volet éducation en tête. Les forces de police proviennent d’un environnement où il y a un manque cruel d’éducation pour tout ce qui touche les enjeux systémiques. Ce point-là sera-t-il traité dans vos recommandations?

Commissaire en chef Buller : Karen, vous avez mentionné l’importance pour les familles et les survivants d’avoir différentes options pour raconter leurs histoires. Certaines de ces options sont déjà en place : en présence des commissaires dans le cadre d’une audience publique, en présence des commissaires en privé; auprès de personnes qualifiées pour consigner les témoignages; grâce à des documents écrits ou vidéo/audio qu’ils peuvent ensuite nous envoyer. Nous savons tous, par nos propres expériences, que certaines personnes sont mal à l’aise à l’idée de s’exprimer publiquement dans une collectivité. Nous savons aussi que, dans les communautés imprégnées d’une certaine dynamique, ce n’est tout simplement pas sécuritaire; d’où l’avantage d’avoir recours à des personnes qualifiées pour consigner les témoignages.

Nous ne pouvons pas nous rendre dans chaque collectivité. Nous avons environ huit mois. Nous allons nous répartir en deux équipes, et nous devons tenir des audiences partout au Canada simultanément si nous voulons aller dans le plus grand nombre de collectivités possible. Notre budget ne nous permet pas d’aller dans chaque collectivité en raison des frais de déplacement élevés. Pour remédier à cette situation, nous avons des personnes qualifiées pour consigner les témoignages. Nous avons déjà commencé à recevoir des appels téléphoniques et des témoignages. Nous nous estimons chanceux d’avoir, dans le cadre de notre mandat, la possibilité d’utiliser des personnes qualifiées pour consigner les témoignages. J’espère que plusieurs y auront recours. S’il y a d’autres moyens d’écouter les histoires, nous voulons le savoir.

Pour ce qui est de l’éducation et des recommandations, nous avons assez de théorie. Nous voulons qu’elles soient pratiques, formulées d’une manière facile à comprendre par tous, et qu’elles donnent lieu à des prises de mesures. Ça suffit la théorie; je veux faire quelque chose de mesurable.

Commissaire Robinson : Nous ne sollicitons pas les familles à froid. Nous essayons d’offrir une occasion pour les familles d’entrer en contact avec nous. Nous voulons leur proposer une manière sécuritaire et confidentielle de se confier à nous. Nous ne voulons pas appeler les gens, les mettre dans un avion et les envoyer à Ottawa. J’ai déjà vu cette situation.

La situation est délicate et certaines familles ont le sentiment qu’elles ont été exploitées. Selon vous, comment devrions-nous nous y prendre? Quelle est la meilleure façon de créer un lien avec les familles et les survivants? À quelles collectivités d’Ottawa devrions-nous penser? Comment créer un espace inclusif dans les centres urbains, où les protocoles sont multiples, différents de ceux des collectivités éloignées?

Barbara Sevigny : Comment choisir des familles dont un être cher a disparu? C’est une bonne question. Nous ne voulons pas approcher une famille qui est déjà en mode survie. Nous ne voulons pas non plus choisir une famille qui fait face à des problèmes de toxicomanie ou qui est aux prises avec le système de justice pénale à ce moment-là.

J’ai été travailleuse de soutien pour Santé Canada, en Ontario et dans le nord du Québec. Nous avons fait bon nombre de comptes rendus sur les familles dont nous nous occupions, déterminant celles qui allaient s’en sortir, celles qui s’exprimaient bien et qui avaient de bonnes capacités d’adaptation. Nous avons décidé d’aller vers les personnes qui avaient le plus besoin de s’enraciner et de recevoir du soutien. Nous avons fait énormément de suivi. Il vous faut préparer les premiers répondants. Dites-leur : « Nous viendrons à telle date, soyez prêts »; de cette manière, ils offriront davantage de services et éviteront toutes sortes de réactions négatives. Juste le fait de savoir que nous allons leur rendre visite pourrait causer des réactions négatives. Allez travailler avec les conseillers et parlez ensemble des pratiques exemplaires. Cela leur permettra de travailler en confiance. Ce sont eux qui resteront après. Nous sommes en mesure de partager ces connaissances avec vous.

Commissaire Audette : C’est exactement ce que j’aime entendre, à savoir qu’il s’agit d’un effort collectif. Je vous remercie d’avoir utilisé le « nous ». Il ne s’agit pas de cinq commissaires et de leur personnel; la collectivité locale et les familles sont invitées à participer au processus, à aider à le définir et à le mener à bien.

Nous avons oublié de mentionner que, lorsque nous avons rencontré de manière informelle les familles de survivants, ils nous ont parlé de plusieurs possibilités pour ce qui est de choisir les familles et les conseillers. Ils ont tous dit : « Assurez-vous que les familles qui vous aident et vous guident disposent de leur propre processus de guérison, de manière à ce qu’elles ne soient pas blessées par le processus. » Il existe des réseaux de femmes au Canada qui assurent une entraide. Ces réseaux exercent un leadership et ils nous font part de leur expertise et de leur orientation.

Tim Zehyr : J’aimerais revenir aux collectivités, celles qui sont isolées. Je vous encouragerais à trouver des manières de collaborer avec différentes personnes pour aider à faire venir ces membres des collectivités éloignées là où vous vous trouvez. Peut-être que certaines compagnies aériennes pourraient offrir des rabais pour les parties les plus éloignées du pays. Il serait peut-être bon d’envisager des partenariats dans le milieu des affaires pour voir où il serait possible d’obtenir de l’aide.

Michele Moreau : C’est noté. En raison de l’indépendance qui nous caractérise, je ne suis pas certaine de ce que nous pouvons faire et ne pas faire en ce qui concerne les partenariats. Je vais me renseigner.

Rebecca Jones : Nous avons parlé de la préparation des premiers répondants. Il se pourrait que des personnes sur place réagissent en consommant des substances intoxicantes. La police locale doit être intégrée à la planification. La plupart des petites collectivités n’ont que deux agents de police. Ils pourront mieux faire leur travail s’ils interviennent dans une situation sachant que telle ou telle personne a participé à ces conversations difficiles. Ce serait d’une grande aide.

Ulrike Komaksiutiksak : Les agents de soutien en matière de santé devront gérer des traumatismes indirects s’ils ont eu à vivre quelque chose de similaire. Je pense aux répercussions sur les enfants et sur les adolescents. Si la famille raconte leurs histoires, ceux-ci vont être touchés. S’ils gardent depuis longtemps quelque chose à l’intérieur d’eux, il y aura des répercussions. Vous avez mentionné les personnes qualifiées pour consigner les témoignages; certains voudront raconter leur histoire en la dessinant. Cette mesure pourrait donner lieu à un suivi et à une guérison pour les personnes qui restent sans voix. N’oubliez pas les enfants et les adolescents. Ce n’est pas anodin lorsque des étrangers viennent dans leur collectivité. Vous devez honorer les histoires de leur collectivité. Il faut trouver des manières de célébrer, d’instaurer une certaine joie de vivre pour compenser toute la lourdeur et pour souligner l’importance de célébrer la vie. Tout le monde ne sera pas prêt à faire du counseling adapté aux expériences traumatisantes.

Karen Green : C’est fantastique. De quelle manière définissez-vous la collectivité? À qui la demande est-elle destinée, d’où vient-elle, pour être considérée comme concernant la collectivité? La collectivité n’est pas la famille. Les gens sont souvent interreliés au sein de ces collectivités. Vous devez respecter les protocoles en place. J’entends souvent dire que les gens sont tannés de voir une même approche pour tous les groupes autochtones.

Commissaire en chef Buller : La collectivité se définit elle-même. Laissez-moi vous donner un exemple concret. À Vancouver, le centre-ville de Vancouver-Est est la plus grande réserve urbaine au Canada, et trois Premières Nations revendiquent ce territoire. Avant de tenir n’importe quelle audience ou de prendre n’importe quelle mesure, je veillerais à ce que les trois Premières Nations qui revendiquent ce territoire soient d’accord que nous tenions une audience là-bas. Par conséquent, l’audience serait très nuancée, et il faudrait mener une consultation. Par contre, tout au long de la « route des pleurs », bon nombre de collectivités sont très bien définies. Les collectivités se définissent elles-mêmes. Au nord de la C.-B., il y a des revendications territoriales concurrentes et donc vous devez faire attention à qui vous demandez la permission en premier. Nous sommes conscients de certaines des considérations politiques, mais pas toutes. Nous commettrons probablement des erreurs en chemin, mais nous apprendrons de ces erreurs.

Karen Green : Que pensez-vous de l’exemple suivant : un groupe de femmes qui invite la Commission sur le territoire où le conseil local s’oppose à votre présence? J’aime l’idée d’envisager des situations déstabilisantes de manière à m’y préparer.

Commissaire en chef Buller : Cela ne sera pas facile. Nous devrons demander conseil au sujet de ces types d’intérêts concurrents. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous tenons ce genre de rencontres. Nous demanderons à nos groupes logistiques et aux autres personnes des collectivités de préciser que nous nous sommes adressés aux bonnes personnes et aux bons groupes et que nous avons leur permission. C’est à la fois essentiel et compliqué, mais nous n’allons pas abandonner.

Paani Zizman : Un tiers de notre population d’Inuit ne vit pas sur les terres ancestrales. Selon Statistique Canada, notre plus grande population urbaine se trouve à Edmonton, avec 1 100 personnes. Donc, nous ne sommes pas au nord du 60e, mais plutôt au sud de celui-ci. Il n’existe aucune terminologie pour caractériser cette situation. Je souhaite collaborer avec vous pour vous guider au sein de ces troisièmes générations du Sud. L’un des moyens les plus efficaces pour communiquer avec les collectivités est la radio. Ce sont les collectivités qui nous l’ont dit. Nous le savons par expérience. Notre organisation peut vous en dire beaucoup sur la manière de rejoindre toutes ses autres villes. Il existe bon nombre d’organisations qui sont prêtes à collaborer avec nous et avec vous.

***Pause santé***

Barbara Sevigny : Une femme qui a participé aux consultations communautaires à Ottawa a pleuré pendant tout son voyage de retour à Iqaluit. Elle allait bien quand elle était ici avec nous à l’hôtel, elle a pu tenir le coup, mais pendant le voyage de retour à Iqaluit, elle a pleuré sans cesse. Un vol nolisé a transporté les survivantes, mais il n’y avait aucun conseiller à bord. C’était une recommandation.

Nous avons vu un trop grand nombre de personnes réagir en se tournant vers la toxicomanie, en faisant du mal à d’autres personnes dans leur vie ou en se suicidant. Les collectivités éloignées seront rassurées si elles voient que nous nous occupons d’elles du début jusqu’à la fin. Lorsque vous vous déplacerez de ville en ville, ayez une personne qui sera toujours là et qui voyagera d’un endroit à l’autre pour former les équipes locales avec lesquelles vous travaillerez sur le SSPT grave. J’ai des collègues qui ont dû se retirer parce que les histoires qu’ils ont entendues dans le nord du Québec ont déclenché leurs symptômes de SSPT. Nous devons faire très attention lorsqu’il y a des membres des familles qui voyagent.

Tim Zehyr : Êtes-vous à la recherche de collectivités ou de zones en particulier? Ou est-ce que vous allez vouloir de la rétroaction par la suite?

Commissaire en chef Buller : Nous sommes à la recherche d’informations précises sur les lieux recommandés par vous. Ce n’est pas coulé dans le béton. Voici comment les semaines se dérouleront, dimanche et lundi seront les jours de voyage et d’installation. Nos avocats et équipes de santé arriveront avant nous dans les collectivités, lundi soir il y aura probablement une cérémonie ou un repas, mardi, mercredi et jeudi nous parlerons avec les survivantes et leurs familles et jeudi soir il y aura une cérémonie de clôture ou un repas, ça dépend vraiment de la collectivité. Les commissaires partiront vendredi, mais l’équipe de santé restera sur place.

Nous avons besoin de conseils en ce qui concerne les endroits, les édifices, les infrastructures. Nous aurons besoin d’un hôtel pour loger une équipe de 10 à 15 personnes. Nous aurons besoin de nourrir les membres de notre équipe. Nous ne voulons pas prendre la nourriture des gens de la collectivité. D’après mon expérience en tant que juge d’une cour de circuit, je sais que les ressources sont limitées. Nous aurons besoin de savoir s’il y a un bâtiment dans la collectivité doté d’une cuisine, s’il est possible de mettre en place une cabine d’interprètes ou deux, si l’alimentation électrique est fiable, s’il y a des pièces secondaires pour les membres de la famille, les aînés et la garde des enfants. Donc, nous aurons besoin de beaucoup d’espace et de ressources. Oh, et l’Internet aussi (rires). Ces exigences auront une incidence sur nos choix de collectivités. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons recours aux personnes qualifiées pour consigner les témoignages, car les besoins en matière d’infrastructure ne sont pas les mêmes. Donc, oui, si vous pouvez recommander des collectivités, nous y irons.

Ulrike Komaksiutiksak : Dans les centres urbains comme Ottawa, il serait bien d’envisager plusieurs lieux. Les gens ont des emplois du temps différents, jour et nuit. Les espaces pour s’occuper des enfants et des aînés sont importants. Il faut faire preuve de souplesse.

Barbara Sevigny : En ce qui concerne la façon d’inclure les éléments protocolaires dans les audiences et de rendre ces audiences accueillantes, je peux dire que j’ai aimé les couvertures lors des autres consultations communautaires. S’il y avait quelque chose de similaire pour représenter les Premières Nations, les Métis et les Inuit, ça serait bien. Par exemple, on pourrait voyager avec un qulliq honorant la mémoire des femmes disparues ou assassinées. Une histoire en dit beaucoup aux gens quand on cherche à les accueillir. Elle vous représente en tant qu’équipe.

Il y a quelque 27 dialectes au Nunavut. D’après mon expérience avec TI au cours des 16 dernières années, le dialecte qui marche bien est celui de l’île Baffin et ils comprennent la plupart des autres dialectes. Pour être respectueux envers les personnes venant d’autres régions, je vous recommande fortement d’avoir des interprètes ou des traducteurs sur place, car ces histoires seront consignées.

En ce qui concerne l’endroit où les audiences auront lieu, je pense qu’Ottawa est bien situé, car il sera facile d’attirer des gens d’autres petits centres urbains et ils pourront prendre connaissance des moyens dont ils disposent en voyant nos agences et notre organisation. Ils pourront se développer dans leurs villes une fois qu’ils auront vu ce que nous avons ici. Les ressources dans les petits centres urbains sont limitées. Nous voulons qu’ils soient conscients des moyens dont ils disposent et que tout le monde s’aide.

Pour ce qui est de la façon de contribuer à l’enquête nationale, le Centre de guérison Mamisarvik emploie des conseillers et des travailleurs sociaux bilingues qui utilisent des outils d’ancrage dans la réalité et des méthodes d’adaptation et nous pourrons demander à quelques-uns d’entre eux d’offrir des services de counseling ici au besoin.

Quant aux enjeux régionaux, nous voyons beaucoup de problèmes de santé mentale en raison de traumatismes non traités et de dépendances. Il y a le SSPT. Il y a la schizophrénie. Les symptômes du SSPT et de la schizophrénie sont similaires. Je travaille avec une femme qui a été la victime d’un homme occupant un poste élevé d’autorité. Elle entend des voix parce qu’elle a peur et qu’elle est paranoïaque, mais elle souffre du SSPT et non de la schizophrénie. Ils se sont trompés lorsqu’ils ont diagnostiqué la maladie et elle a pris les médicaments pour la mauvaise chose.

Lorsque les gens ne se sentent pas en sécurité, ils se tournent vers la toxicomanie et des relations malsaines. Nos valeurs, en tant qu’Inuit, nous apprennent à non seulement savoir, mais aussi d’aider. Il n’y a aucun foyer de refuge pour les femmes dans le Nord où elles peuvent aller. Il y a beaucoup de gens passifs en raison de traumatismes. On nous dit souvent « comment je peux… ». Le fait de parler dans notre langue est un élément essentiel de mon travail de conseillère et il contribue en particulier à la guérison des gens. Elles ont besoin de parler du traumatisme en utilisant leur langue et leurs mots.

Rebecca Jones : J’ai travaillé au Centre correctionnel de Baffin où les détenus Inuit viennent de partout dans le Nord et j’ai constaté l’importance de travailler avec des employés qui parlent les différents dialectes. Donc, si vous avez un interprète qui parle le dialecte de l’île de Baffin, il serait bien d’avoir quelqu’un qui parle les autres dialectes aussi.

Lorsque je travaillais au service d’aide aux victimes, j’ai entendu beaucoup de plaintes au sujet des initiatives comme les commissions qui mettent l’accent sur les centres urbains. Il ne faut pas oublier les petites collectivités.

Enfin, les Inuit sont très discrets. Ils iront au tribunal pour faire leur témoignage et quand on leur demande s’ils parlent anglais, ils vont dire « oui », mais ils n’arriveront pas à s’exprimer. Il faut qu’il y ait un interprète là.

Karen Green : J’espère que nous n’oublierons pas nos femmes incarcérées. Elles sont nombreuses.

Quelqu’un avait dit que les gens rencontreraient tout d’abord un avocat. Il se peut que ce ne soit pas la meilleure façon d’organiser la rencontre entre la famille et la commission. Beaucoup d’Autochtones se méfient des institutions.

Est-ce que les personnes concernées pourront signer et approuver leur témoignage? Combien de temps sera accordé aux gens pour raconter leurs histoires? Comment est-ce que vous établirez cet équilibre délicat?

Comment est-ce que nous allons établir la définition d’une institution et sélectionner les porte-paroles de ces institutions (police, centre d’incarcération, etc.)? Comment est-ce que nous allons trouver les bonnes personnes et écouter l’ensemble des histoires?

Susan Vella : Il y a plusieurs moyens d’essayer de trouver les bonnes personnes. Nous parlons avec certains porte-paroles de diverses institutions et nous continuerons à avoir ces conversations. Nous avons aussi nos propres conseillers qui connaissent bien le milieu des institutions en question. C’est-à-dire, qui sait quoi? Une autre approche est d’utiliser les documents. Nous mettons en place un protocole de documents pour l’ensemble des institutions liées à l’enquête. Nous souhaitons établir une relation fructueuse avec les institutions. Nous voulons qu’elles souhaitent s’améliorer et qu’elles mettent nos recommandations en œuvre. Nous voulons que ces relations soient productives.

Karen Green : Comment est-ce que vous communiquerez avec le personnel de première ligne? Tout le monde cherchera à se protéger en raison de questions éventuelles de responsabilité. Est-ce qu’il y aura une ligne téléphonique que les gens pourront appeler? Ou est-ce que vous parlerait uniquement aux personnes qui, en raison de leur poste, devront se comporter d’une certaine manière pour se protéger?

Susan Vella : Nous parlerons avec les familles, les collectivités, les survivantes et les activistes communautaires qui seront peut-être prêtes à nous dire des choses sur les organisations et les institutions. Donc, nous aurons une autre source d’informations pouvant faciliter nos recherches. Il faut mettre en place les fondements, un élément à la fois.

Karen Green : Pourriez-vous rencontrer les agents de la GRC qui sont Autochtones? Ou des personnes défavorisées au sein de leurs institutions qui sont fondamentalement racistes en raison de la façon dont elles sont constituées?

Susan Vella : Nous pourrions parler, par exemple, avec des policiers à la retraite qui n’auraient pas les craintes en question. Ce sont toutes des sources d’information possibles.

Commissaire en chef Buller : Point important. Il y aura une diversité d’opinions. Nous avons l’intention de faire en sorte que les travaux des comités d’experts ainsi que les audiences institutionnelles se déroulent en même temps. L’un de ces comités pourrait être composé d’agents de police à la retraite et de travailleurs sociaux. J’ai participé à une commission d’enquête en Colombie-Britannique où les chemises blanches nous ont présenté la position officielle jusqu’à l’intervention du dernier groupe, celui des agents de police autochtones. Je pense qu’il était 22 h et c’est ce groupe qui nous a donné les informations les plus utiles. Je n’ai pas oublié cela.

Ces éléments seront certainement pris en considération. Nous n’avons pas encore envoyé les invitations. Il y a une question que nous poserons à l’ensemble des personnes avec qui nous parlerons, c’est-à-dire les familles, les survivantes, les représentants des institutions ou les comités d’experts, qui sera formulée de différentes façons peut-être, mais qui sera essentiellement comme suit : comment peut-on améliorer les choses? Comment aurait-on pu améliorer les choses? À votre avis, quels sont les changements qui auraient pu avoir une incidence? Je suis convaincue que les collectivités sont au courant des problèmes et qu’elles savent comment les résoudre. Nous voulons donner des moyens non seulement aux particuliers, mais aussi aux collectivités et nous voulons les améliorer.

Ulrike Komaksiutiksak : Les gens ont peur des systèmes. Nous avons de l’espace. Nous pouvons participer aux activités de sensibilisation à Ottawa. Nous voulons travailler en collaboration avec TI et d’autres organisations. Les transports peuvent constituer un obstacle important pour les participants. Les partenaires sur place à Ottawa peuvent aider les gens qui doivent être entendus et leur accorder une chance égale à raconter leurs histoires.

Commissaire en chef Buller : Plusieurs personnes ont mentionné l’importance de communiquer avec les femmes dans les pénitentiaires. Quelle serait la meilleure façon d’y arriver? Est-ce qu’il faudrait envoyer deux personnes qualifiées pour consigner les témoignages? Est-ce qu’il sera possible de les transporter aux audiences?

Barbara Sevigny : Nous allons aux institutions pour parler directement avec un conseiller sur place. Une personne chargée de consigner les témoignages pourrait également y aller. Il sera essentiel de tenir une séance de counseling avant la réunion. Il faudra aussi se renseigner sur la façon de procéder sans s’accabler. Faites en sorte que la personne chargée de consigner le témoignage soit accompagnée d’un conseiller bilingue.

Rebecca Jones : Il n’y a qu’une seule prison par femmes à Iqaluit. Les prisonnières peuvent parfois quitter le centre. Il faudra prévoir une séance de counseling avant le départ. On pourrait organiser une séance en groupe avec les gardiennes. Ou bien, une séance privée pourrait aussi être tenue. Elles pourraient ensuite venir dire à la gardienne « Oui je veux parler avec quelqu’un ».

Barabara Sevigny : Gardez à l’esprit que les gens ne veulent pas parfois un conseiller ou une conseillère qu’ils connaissent. Lorsque vous aurez vos conseillers, présentez les options. Ainsi, les gens auront des options et il n’y aura pas de conflits d’intérêts.

Rebecca Jones : Vous devriez proposer la possibilité de parler avec un conseiller ou une conseillère.

Susan Vella : En ce qui concerne les conversations avec des femmes en prison en adoptant l’approche proposée par vous, est-ce que nous devrions tenir compte du fait que les femmes auront peur de nous divulguer des informations qui pourraient mettre en péril leur admissibilité à la libération conditionnelle ou l’accès à leurs enfants ou qui pourraient éventuellement être utilisées contre elles?

Barbara Sevigny : C’est dans ces situations qu’il faudra compter sur un conseiller expérimenté qui pourra préparer la réunion avec la personne incarcérée. Le conseiller devra indiquer clairement que la rencontre portera sur la personne incarcérée en tant que victime. Sinon, elles ne voudront pas parler aux avocats.

Rebecca Jones : Vous devrez aussi penser aux questions de sécurité. Certaines personnes traumatisées deviendront violentes. Il faut que vous soyez accompagnés dans la salle lorsque vous parlez avec certaines personnes.

Karen Green : J’allais aussi dire que les femmes autochtones incarcérées sont visées par davantage de mesures disciplinaires et qu’elles passent plus de temps en isolement cellulaire. Donc, elles se voient disciplinées pour peu de choses. Il sera important qu’elles sachent comment les informations seront utilisées. Ces femmes devraient avoir le pouvoir d’influencer la façon dont les informations seront utilisées et se sentir à l’aise à cet égard. Il y a des questions de sécurité qui sont aussi à prendre en considération.

Commissionnaire Audette : Il y a très longtemps, j’ai visité cinq institutions pour rencontrer des délinquants autochtones. Dans une institution, il y avait une suerie. Si nous allons à Iqaluit, il n’y a pas de suerie. Avez-vous une approche spirituelle dans ce contexte pour les Inuit?

Rebecca Jones : Non. Il y a des groupes de couture, beaucoup d’aînés adoptent cette approche. La couture ou la cuisine peuvent être utilisées dans les prisons. Cette approche favorise l’établissement de relations personnelles et elles voient que vous êtes des êtres humains aussi.

Karen Green : Vous devrez établir des liens de confiance, car vous ne pourrez pas nouer des relations avant de commencer cette conversation difficile.

Barbara Sevigny : Demandez à une personne de la collectivité qui est considérée comme étant une aînée de vous accompagner dans la prison plutôt que quelqu’un qui prétend l’être. Une personne exemplaire qui ne porte pas de jugements et qui ne consomme pas de substances. Allumez le qulliq. Les jeunes dans les prisons ont perdu leur identité en cours de route. Reconnaissez leur identité culturelle.

Tim Zehyr : Il y a des résidences médicales à l’échelle du pays que les personnes n’ayant pas accès aux soins dont elles ont besoin dans leur collectivité peuvent utiliser. Elles se trouvent dans toutes les régions. Ottawa, Winnipeg, Edmonton, Yellowknife. Ces installations aident les gens à obtenir des rendez-vous médicaux et des soins. Elles alimentent les Inuit et s’occupent de les transporter. Vous pourrez peut-être accéder à ces installations aussi.

Barbara Sevigny : Très bon point. Ainsi, il serait possible de faire participer les gens des petites collectivités. Bonne idée du point de vue de la logistique. Nous constatons qu’il y a beaucoup de victimes qui passent par les résidences médicales, des personnes qui étaient dans des relations abusives. Il y a des équipes sur place qui font de l’aiguillage et elles seraient de bonnes partenaires pour vous.

Karen Green : Assurez-vous d’effectuer une analyse comparative entre les sexes qui tient compte des différences culturelles. Les histoires des Inuit, des Métis et des Premières Nations ne sont pas les mêmes.

Rebecca Jones : La division de la justice communautaire pourrait également être une bonne source d’informations. Elle a un travailleur dans chaque collectivité. Son équipe connait bien les gens des collectivités et elle s’occupe des personnes dans le système correctionnel. C’est peut-être une bonne ressource.

Commissaire Audette : Un autre sujet : la terminologie. Je trouve le terme « consultation » irritant. Je vous demande de m’aider à trouver un autre terme. Avez-vous des suggestions?

Karen Green : Je n’aime pas ce terme parce qu’il a des connotations juridiques en raison de « l’obligation de consulter ». J’aime plus ou moins le mot « écouter », mais il y a surement un meilleur terme.

Barbara Sevigny : Dans ma culture, nous aimons beaucoup la narration d’histoires. Lorsque nous expliquons les raisons pour lesquelles nous avons raconté l’histoire nous disons que c’est pour « découvrir comment faire » (indique le terme en inuktitut), « j’aimerais mieux comprendre ». C’est notre façon de dire qui est cruciale. C’est la façon de le présenter au public.

Rebecca Jones : Vous pourriez peut-être modifier le message en fonction de chaque public cible.

Michele Moreau : Je suis vraiment impressionnée. Vous nous avez donné beaucoup de renseignements et de conseils. C’est formidable et c’est exactement ce dont nous avons besoin pour bien faire le travail.

Commissaire en chef Buller : On m’a dit de vous donner des devoirs (rires). Je vous demande de consulter notre site Web et la foire aux questions et de nous faire part de vos commentaires. Ce n’est pas la fin de notre dialogue. Votre rétroaction, vos critiques et vos idées sont les bienvenues. Nous avons besoin de votre aide. Merci.

Commissaire Audette : J’ai un message de la commissaire Poitras [qui n’a pas pu participer], elle m’a demandé de vous rappeler que nos femmes, nos filles et nos petites filles sont sacrées. Nous sommes sacrées. Nous devons mettre fin au discours de victimisation. Nous devons mettre l’accent sur l’habilitation. Oui, la vérité est importante, mais il y a des choses formidables qui se passent dans nos collectivités. Nous vous invitons, dans le cadre de votre participation, de bien rester en contact avec nous.

Commissaire Robinson : Je souhaite vous remercier (elle parle en inuktitut). Nous avons compris un certain nombre de choses. Nous aurons des employés, des gens qui s’occuperont des relations communautaires, avec qui vous parlerez davantage au fur et à mesure que les travaux se poursuivent.

Commissaire Eyolfson : Merci beaucoup. J’ai appris beaucoup de choses aujourd’hui. Je vous remercie d’avoir pris le temps de venir ici pour nous rencontrer ce matin.

Rebecca Jones : C’était un honneur d’avoir l’occasion de participer à cette activité. Je suis la coordonnatrice des services de prévention de la violence contre les femmes et j’essaie d’apporter des changements systémiques. Je travaille donc en collaboration avec le service de police d’Ottawa et d’autres organisations pour mieux servir les femmes inuites à Ottawa. Voici ma carte professionnelle (rires).

Michele Moreau : Nous dresserons notre liste des personnes-ressources et veuillez nous laisser savoir si vous pensez qu’il a d’autres organisations qui auraient pu être ici.

Barbara Sevigny : Je voulais aussi dire que c’était un grand honneur. J’ai participé en tant qu’employé de soutien à un certain nombre de consultations communautaires et je peux vous dire que c’est une étape importante pour les gens. Ils sentent qu’ils sont recherchés et ils disent qu’ils « savent ce qu’ils veulent ». Donc, c’est une excellente occasion et, d’après moi, ce processus que vous entamez sera très intéressant. Je vais le suivre de près parce que c’est passionnant pour les gens. Merci.

 

*** 11 h 40 fin de la réunion ***